mardi 28 janvier 2014

Scène de vie : Dans la peau d'une détenue à Antanimora, confidences...

"L'artiste se prénomme Thonny, c'est un homme d'une trentaine d'année, condamné à 15 ans pour attaque à main armée, mais je ne connais pas d'homme aussi doux et gentil. Aussi incroyable qu'il en est, cet homme n'a jamais appris à dessiner, il a découvert ce don en prison. Il est de Farafangana, une province dans le Sud Est de Madagascar, il n'a donc aucune famille sur Tananarive pour le nourrir, il fait donc quelques dessins par ci par là pour lui permette de manger un peu en Prison. Notez que la cours des condamnés comporte a elle seule plus de 725 hommes."


Il est environ 16h30 quand nous sommes transférés Mr S et moi à la prison, j'ai juste eut le temps d'enlever ma montre, mon alliance et donner mon sac à main . Pendant le transfert j'ai pu appelé mon mari, lui ai dit que je rentrais en Prison, qu'il fallait que quelqu'un s'occupe des enfants , ces petits anges qui ne comprendraient pas pourquoi je ne rentrerai pas ce soir …. J'ai également eu mon Papa ,qui avait une voix tremblante en entendant mon désespoir ,il m'a rassuré , il sait que je suis solide , alors il m'a parlé d'une voix douce et m'a promis son soutien depuis la France .Ce furent mes derniers appels avant plusieurs semaines….
Je me vois encore arriver devant la prison, bâtiment de l'époque colonial, grandes portes en fer et le drapeau Malgache flottant dans les airs …
Les regards des gens, des pénitenciers surpris de nous voir débarquer.
Dans un état abattu, les yeux pleins de larmes, nous lançons un dernier regard à nos avocats. J'avais la peur au ventre , cette peur qui vous prend aux tripes et qui vous rend tremblant .J'avais si peur de ce qui m'arrivait !!
On nous dirige au Poste, les grosses grilles se ferment derrières nous. Impuissants, on se laisse prendre nos empreintes, notre nom… En état de choc, je n'arrivais même plus à parler , mais la gentillesse des secrétaires qui m'ont accueillis au poste m'a surpris, ils m'ont expliqué qu'eux aussi étaient détenus, et qu'il fallait que je sois courageuse, ils m'ont incité à être forte, et à ne plus pleurer ...
Mr S et moi avons été séparés, lui est parti dans le quartier des hommes , nos regards remplis de larmes se sont dit adieu , je me retrouvais seule dans ce bureau aux murs marrons avec des centaines de dossiers entassés sur les armoires rongées par le temps ....Après quelques minutes, une pénitentiaire est venue me chercher, elle m'a demandé de la suivre, mon regard se portait sur les secrétaires, complètement perdue je cherchais un repère, un soutien, ils m'ont souri et m'on dit " Sois forte  ! " …
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En uniforme  bleu et blanc, la pénitentiaire me  dirige dans le quartier des femmes, le gros loquet se ferme derrière moi, elle me fait assoire, et me demande mon nom, et la raison de mon incarcération, je n'ai pas pu dire les mots « tentative de meurtre » c'était trop dur pour moi, elle s'est contenté de lire ma fiche. Gentiment elle  me donne le nom de ma chambre : « Chambre A », qu'importe de toutes façons, A , B ou C je ne comprenais même pas ce qui m'arrivait …

La chef de chambre vient me chercher, une jeune femme très jolie, me montre la porte, j'ai eu un moment de recul, cet endroit n'avait rien d'une chambre, la première vision que j'ai eu était celle d'une chambre de camps de concentration : paillasses superposées, des rames de chemins de fer  et des morceaux de bois en guise de sommier, les murs d'une saleté indescriptible… Je m'avance et tout en rentrant dans ce monde inconnu, des petites voix, des petits anges me disent de ne pas pleurer, me demandent d'avoir du courage, ces petites voix étaient les femmes de la chambre, et puis j'ai entendu mon prénom, une voix qui venait du milieu de la chambre, la femme se décale et je la vois, une connaissance de longue date !!! On se jette dans les bras, elle me demande ce que je fais ici, je lui explique brièvement  l'histoire, depuis cet instant là, cette femme a pris soin de moi et est devenue mon ange gardien
C'est l'heure du dîner, voyant que je n'avais rien à manger ni à boire, les femmes me tendent de l'eau, une assiette, une solidarité incroyable ! Malheureusement j'étais trop choquée pour avaler quoique se soit …

 Notre chambre fait environ 40 m2, nous étions à cette époque 56 détenues à nous partager cet espace. « Mon ange gardien » me trouve une petite place à coté d'elle, notre paillasse faisait 1 mètre de large, nous étions 3 à dormir dessus, mais qu'importe, j'étais tellement épuisée par cette épreuve que je voulais juste m'allonger…
Mes premières affaires arrivent par un ami, dans ce sac une couverture, un change , un pyjama et affaires de toilette.Les femmes me disent qu'il faut que je me mette en tenue pour dormir , mais je ne voulais pas voir la vérité en face , je disait :"mais c'est impossible , c'est une erreur , on va venir me chercher cette nuit ..." Alors je me suis endormie en costume , mais personne n'est venue me chercher cette nuit là ...



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Des semaines de galères, des jours entiers à attendre, des  demandes de liberté provisoire refusées, des promesses utopiques, le moral qui dégringole, la santé qui  se décline peu à peu …
Le plus difficile pour une femme est la séparation avec ses enfants, il m'est arrivé de hurler, de pleurer  en me demandant  si un jour je les reverrai, et si je les verrai grandir ?
Que devaient-ils penser de moi ? Je les avais accompagnés un matin à l'école et je ne suis jamais revenue les chercher …Ils sont parti, deux jours après mon incarcération et depuis plus rien, quelques petites lettres que j'arrivais à envoyer et puis c'est tout... Comment s'avoir ce qu'ils pensaient ? Pour la fête des mères j'étais comme beaucoup d'autres au fond du trou, toutes les mamans essayaient de ne pas penser à cette fête, mais quand  j'ai reçu leurs dessins, ce fût un vrai déchirement

De même pour la fête des pères, bien sure impossible de téléphoner, alors j'ai fais en sorte de pas y penser, c'était trop dur...
Durant mon incarcération, j'ai malheureusement perdu deux de mes amis, l'annonce est toujours brutale mais le pire est de s'avoir qu'on ne peut être prêt d'eux, que nous ne pouvons assister aux funérailles, que je serai absente quoiqu'il arrive….
L'être humain a une capacité incroyable à encaisser  un nombre de chocs  , pour ma part ça aura duré 2 mois , 2 Mois ou Mr J n'avait jamais pu m'enlever mon sourire.... Mais dès  l'instant où notre esprit ne suit plus, notre état se dégrade vite... Je ne rigolais plus, je ne sortais plus de la chambre, ce qui a alerté les pénitencières, elles me voyaient marcher de moins en moins bien, mon regard devenait vide, elles me disaient de me reprendre, mais je ne voulais pas, j'avais abandonné le combat...
Mon état de santé se dégradait, deux médecins  me donnèrent un traitement et constataient ma dégradation, mais je ne voulais prendre aucun médicament, je voulais arrêter  mon combat…. Mes copines de cellules essayaient de me redonner du courage, mais rien y faisait, j'avais du mal à respirer, à marcher et  mon bras gauche me faisait mal, je maigrissais à vue d'œil, je devenais muette, j'étais vidée et j'avais perdu mon sourire

Je me rappellerai toujours de cette matinée du 29 Juin, alors que je tenais le petit Harnès dans mes bras, le bébé d'une détenue, on est venue me dire que j'avais une visite importante ….En trainant des pieds, je me rends à l'infirmerie et je vois des médecins, ainsi qu'une personne d'un Ministère, j'étais terrifiée, qu'allaient ils encore m'annoncer ? Ils me posent des questions sur mon état moral, et pourquoi je ne voulais pas me soigner … Je leur réponds que je ne veux plus continuer le combat, à quoi bon, Monsieur J a de toutes façons gagné, il m'a tout pris : mon mari, mes enfants, ma dignité, ma liberté et ma santé !! Je ne veux plus me battre contre lui, ni contre personne !!!! J'arrête là, terminé ....laissez moi au moins mourir en paix !!!

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Misaotra!