mardi 28 janvier 2014

Zébu en crise.

2010
Photo: Tomas de Mul/IRIN
Photo: Tomas de Mul/IRIN
 
AMBOHITSAHATAZA - Loin des places financières du monde, isolé des subprimes, des obligations adossées à des créances et des banques d’investissements qui s’effondrent, Madagascar traverse sa propre crise financière, qui se traduit par la chute des prix du bétail.

A Madagascar, comme dans la plupart des régions rurales d’Afrique, la richesse se mesure au bétail. Or, Joseph Rabemanantsoa, chef du village d’Ambohitsahataza, dans la division administrative d’Amphany (sud-ouest), a expliqué à IRIN que la valeur de ses zébus - animaux de ferme robustes aux longues cornes, qui se distinguent par une bosse graisseuse au garrot - avait diminué de moitié. « Normalement, on pouvait obtenir jusque 300 000 ariary [140 dollars] pour un bon animal ; aujourd’hui, si l’on parvient à en tirer 150 000 ariary, il faut s’estimer heureux ».

Non seulement la valeur des têtes de bétail a chuté ces dernières années, mais la taille moyenne des troupeaux a elle aussi diminué. « Quand tout va bien, une famille riche possède entre 20 et 40 animaux ; aujourd’hui, elles en ont à peine 10 », a déploré M. Rabemanantsoa. Les familles pauvres - soit une majorité des quelque 1 700 villageois - n’en ont désormais aucun.

Le Système d’alerte précoce (SAP) mis en place par le gouvernement malgache indiquait une diminution du prix moyen du zébu dans le sud de Madagascar, passé de 221 000 ariary (103 dollars) en mars 2008 à seulement 110 000 ariary (51 dollars) en mars 2010, une baisse proportionnelle à la dévaluation de 50 pour cent observée dans la communauté de Joseph Rabemanantsoa.

Les Malgaches cassent leur tirelire

Pour la région, il s’agit d’un effondrement financier : les populations du sud de Madagascar ne dépendent pas de leurs zébus uniquement pour leur consommation de viande et de lait, le trait de leurs charrettes et le labourage des champs ; leurs troupeaux de zébus sont aussi toutes leurs économies, leur assurance et leur réputation au sein de la communauté. « C’est ce à quoi nous accordons le plus de valeur », a déclaré M. Rabemanantsoa.

Lundi Perole, ingénieur civil, dirige Hiara Hampandroso (Développer ensemble), une organisation non gouvernementale (ONG) qui aide les communautés à mieux résister au climat aride peu clément de la région ; selon lui, un large troupeau de zébus est signe d’importance et de prestige social.

« Ils préfèrent n’avoir eux-mêmes pas d’eau à boire, plutôt que de laisser leurs zébus manquer d’eau »
M. Perole a contribué à la construction de collecteurs d’eau grâce aux projets nourriture contre travail du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, dans le cadre desquels les communautés travaillent, en échange d’une aide alimentaire, à des projets destinés à leur permettre de recouvrer leur autonomie.

Sur son bureau s’entasse une épaisse pile d’enveloppes contenant les demandes de la communauté. « La plupart concernent les bassins versants, pour les besoins du bétail », a-t-il expliqué.

« C’est la communauté qui décide quoi construire. Nous sommes dans le sud, [où] l’eau est le plus gros problème. Ils préfèrent n’avoir eux-mêmes pas d’eau à boire, plutôt que de laisser leurs zébus manquer d’eau ».


L’importance accordée par les Malgaches à leurs zébus ne saurait être sous-estimée. « Ils sont leur vie et leur mort », a commenté M. Perole. La culture veut que les zébus d’un défunt soient abattus et que leurs crânes servent à décorer sa tombe - plus les crânes sont nombreux sur une tombe, plus le défunt était riche et son statut, important -, une pratique qui semble souvent destructrice aux yeux des étrangers.

Un marché favorable aux acheteurs

La sécheresse est au cœur de cette récession locale : plusieurs années de faibles précipitations consécutives ont poussé les familles au-delà de leurs capacités d'adaptation, a dit M. Perole.


Photo: Tomas de Mul/IRIN
Les pièces de monnaie malgaches, frappées d’une tête de zébu
A la fin du mois d’avril 2010, le gouvernement prévoyait que 65 communes du sud de l’île - un record - se trouveraient confrontées à l’insécurité alimentaire dans les mois suivants - contre 45 l’année précédente - et que quelque 866 000 Malgaches auraient probablement besoin d’aide en juin 2010.

« Les prix des denrées alimentaires augmentent au-delà du pouvoir d’achat des populations, qui ont donc moins accès aux vivres », a indiqué Krystyna Bednarska, directrice du PAM à Madagascar.

Les statistiques officielles indiquent en effet une augmentation du coût de la vie dans le sud de Madagascar : le prix du kapoaka (petite boîte de conserve) de maïs, l’aliment de base, a augmenté pour passer de 130 ariary (0,06 dollar) en juillet 2009 à 230 ariary (0,11 dollar) en février 2010, dans certaines régions.

Selon Alexandre Huynh, coordinateur des urgences et de la réhabilitation pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les mauvaises récoltes contraignent les familles à vendre leurs biens - notamment leurs précieux zébus - pour joindre les deux bouts.

« Les zébus sont une solution pour permettre d’acheter des vivres pendant les périodes de soudure et de pénurie alimentaire, mais ... parce que la vente des zébus devient essentielle pour la famille, et puisque de nombreux foyers vendent leurs bêtes en même temps, les prix [chutent] à l’extrême », a-t-il expliqué.

« Une fois la crise passée, [les gens] tentent de racheter leurs animaux, mais au prix normal, plus élevé, du marché, ce qui contribue directement à leur dénuement croissant et à la décapitalisation forte, observée à l’heure actuelle ».

La perte de richesse locale se fait âprement sentir. Selon M. Rabemanantsoa, les zébus sont généralement achetés, puis transportés par camion dans des villes comme Tulear, sur la côte sud-ouest, « mais aussi jusqu’à Antananarivo [la capitale, située dans le nord] ».

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