mercredi 29 janvier 2014

Archives : PRESSE MALGACHE : DE LA RESTRICTION A LA LIBERTE SURVEILLEE





Première République (1960- 1975):
«La presse subit le règne de l’arbitraire» Propos de Richard Claude Ratovonarivo recueillis par Sylviane Loubradou | 26/05/2011

(MADA.pro) Ce dossier thématique concerne l’évolution de la liberté de la presse et les atteintes à la liberté d’expression à Madagascar, depuis la naissance du premier journal malgache en 1866 à nos jours. Pour en parler : Richard Claude Ratovonarivo, directeur-fondateur de MADA.pro. Editeur de presse, journaliste et enseignant en journalisme, celui-ci a effectué des recherches sur la presse malgache.
Les propos de Ratovonarivo ont été recueillis par Sylviane Loubradou. Celle-ci s’est, pour sa part, intéressée très tôt aux problèmes des médias à Madagascar puisqu’elle a consacré à la presse malgache ses mémoires et sa thèse d’études universitaires en science politique en France.
Dans cet entretien, il sera surtout question de l’évolution de la liberté de presse. Un sujet bien défini mais qui devrait être situé dans son contexte historique pour pouvoir être bien compris. De plus, ledit sujet est aussi placé dans son contexte politique. C’est que, l’évolution de la liberté de la presse à Madagascar est souvent liée au développement politique de ce dernier.
Ce dossier comporte cinq volets. Ceux-ci seront publiés successivement sur notre site d’information. Notons que cette série d’entretien évoque l’évolution jusqu’à l’année 2001 de la liberté de la presse à Madagascar. En raison de la crise sociopolitique qui prévaut dans la Grande Ile, la situation des médias malgaches durant le gouvernement de Marc Ravalomanana et la Transition d’Andry Rajoelina fera l’objet de deux autres entretiens qui seront publiés ultérieurement.
Dans ce troisième volet de notre dossier sur la presse malgache, Sylviane Loubradou interroge Richard Claude Ratovonarivo sur l’évolution de la liberté de la presse à Madagascar pendant la Première République.
O MADA.pro : Dans quel contexte politique évolue la presse malgache durant la Première République ?
-RATOVONARIVO : A Madagascar, depuis la proclamation de l’indépendance en 1960 jusqu’en 1972, c’est la formation de droite PSD (Parti social démocrate), membre de l’International socialiste, qui est au pouvoir. Son président, en l’occurrence, le francophile pro-occidental et viscéralement anti-communiste Philibert Tsiranana, est aussi le chef de l’Etat et de gouvernement. Par ailleurs, le PSD gagne toutes les élections organisées (présidentielles, législatives et locales) avec plus de 99 % des voix exprimées, ne laissant ainsi qu’une miette de pouvoir (moins de 1% des suffrages exprimés) à une opposition légaliste représentée à l’Assemblée nationale par l’AKFM, un parti de gauche prosoviétique dirigé par le pasteur Richard Andriamanjato.
En fait, le gouvernement Tsiranana monopolise le pouvoir mais, pour faire bonne figure, il n’instaure pas officiellement un régime avec un parti unique comme dans la plupart des pays africains anciennement colonisés par la France qui ont retrouvé leur indépendance dans les années 60.
En plus de l’opposition tolérée qui est incarnée par l’AKFM, d’autres mouvements d’opposition se développent progressivement. Parmi ceux-ci : le MONIMA (maoïste) de Monja Jaona, qui a ébranlé le fondement du régime en fomentant une jacquerie dans le Sud malgache en 1971 et le MFM (mouvement prolétarien) de Manandafy Rakotonirina qui a renversé le régime de Philibert Tsiranana en provoquant les événements de mai 72. Après ces événements, un régime militaire est instauré. Il est marqué par une vie politique particulièrement instable voire explosive à plusieurs moments. A l’époque, en effet, quatre chefs d’Etat se succèdent en trois ans à Madagascar. A partir de mai 1972, le pays est dirigé par le général de l’armée de terre Gabriel Ramanantsoa. Mais, tiraillé par différentes tendances, celui-ci transmet en janvier 1975 le pouvoir au colonel de la gendarmerie Richard Ratsimandrava. Ce dernier est assassiné par un commando huit jours seulement après son accession à la magistrature suprême. Un directoire militaire, présidé par le général de l’armée de terre Gilles Andriamahazo, est alors mis en place. Cet organisme dirige le pays jusqu’en juin 1975, date à laquelle il désigne un officier de la marine, en l’occurrence le capitaine de corvette Didier Ratsiraka, comme président de la République. Celui-ci s’empresse de légitimer son pouvoir en faisant simultanément plébisciter par référendum et son élection à la tête de l’Etat et une nouvelle Constitution marquant la fin de la Première République.
O Comment se présente la presse malgache au cours de la Première République ?
-Lors de la proclamation de l’indépendance en 1960, Madagascar compte un seul média de masse. Il s’agit de la radio nationale, placée sous la coupe du Ministère de l’Information. Celui-ci lance par ailleurs au début des années 70, la télévision nationale. Par la suite, le gouvernement complète ses moyens d’information en créant une agence de presse nationale (Madpresse), en relançant un hebdomadaire grand public (Vaovao) et en diffusant les Actualités filmées dans les salles de cinéma. Ces différents organes officiels du gouvernement diffusent uniquement des informations se rapportant aux activités et aux réalisations de ce dernier. Ils ne parlent point des activités des opposants.
La presse gouvernementale trouve un allié de poids avec Le Courrier de Madagascar, le premier grand quotidien d’information du pays né en 1962 et dont les actionnaires sont des proches du président de la République associés à une société d’Etat français, la défunte SNEP. De par son fort tirage, ce titre arrive dans toutes les grandes villes de Madagascar.
A côté de la presse gouvernementale, il existe la presse pro-gouvernementale. Il s’agit notamment de journaux qui sont les fers de lance du PSD (La République, Madagasikara mahaleotena et Ny marina) ou qui adhérent aux principes défendus par le parti majoritaire (Basy vava, Fandrosoana, Ny nosy vaovao, Ny vahoaka).
L’opposition possède aussi différents journaux. Il s’agit de : Hehy, Sahy, Maresaka, Imongo vaovao, Antson’ny nosy, Ny feon’i Madagasikara, Andry, Fiaraha- miasa, Ny fahaleovantenan’i Madagasikara, Hita sy re. Organes officiels des partis d’opposition ou titres ne s’inféodant à aucune formation politique, ces journaux affichent la même virulence envers le parti majoritaire PSD. Quelquefois, certains d’entre eux se dressent en toute sincérité contre l’AKFM qu’ils qualifient « d’opposition de sa majesté ».
Si l’on veut bien classifier les journaux malgaches pendant la Première République, il y a lieu de citer aussi Fanasina (édité par l’Union des églises protestantes), Lakroan’i Madagasikara ainsi que Lumière (tous deux publiés par l’Eglise catholique). Ces trois journaux passent au crible, chaque fois que l’occasion se présente, la politique du gouvernement, sans méchanceté cependant, mais avec objectivité dans toute l’acception du terme.
En se référant au contenu et à la conception des journaux, on peut dire que pendant la Première République, les nombreuses tendances d’avant l’indépendance ont pratiquement disparu, entre autres celles édictant le nationalisme, ou l’anti-français, etc. Entre 1960 et 1972, on est pour ou contre la politique du gouvernement.
Les commentaires sont tous axés sur la conception politique du gouvernement, sans toutefois négliger les affaires internationales en les jugeant en raison de leur incidence sur la politique nationale.
La presse d’opposition tend à être mieux considérée par sa rivale presse du gouvernement. Elle est intéressée par celle-ci sur les opinions qu’elle émet.
La parution en 1970 de deux titres indépendants, en l’occurrence le mensuel Réalités malgaches (premier newsmagazine du pays) et le quotidien Zava-Misy, va révolutionner les méthodes des journalistes malgaches. C’est que, ces journaux réalisés par des jeunes journalistes issus de l’Ecole de journalisme créée vers la fin des années 60 au sein de l’Université de Madagascar, ont délibérément délaissé l’habit d’une presse d’opinion pour draper celui d’une véritable presse d’information. En multipliant les investigations inédites, les entretiens exclusifs, les grands reportages et les dossiers thématiques, les journalistes pionniers de Réalités malgaches et Zava-misy ont engagé la presse malgache dans les voies nouvelles empreintes de modernité vers lesquelles s’engageront désormais à leur tour les hommes et les femmes malgaches qui ont la vocation et la responsabilité d’informer et d’éclairer l’opinion.
O Si la presse malgache a connu un tel développement, c’est qu’elle n’a pas dû connaître d’entraves majeures dans son développement?
-Cette appréciation n’est pas juste. Outre Le Courrier de Madagascar qui a une assise financière assez solide et les journaux confessionnels qui bénéficient des mannes plus ou moins suffisantes, les autres journaux ont en permanence des problèmes financiers.
En tant que presse d’opinion, les journaux politiques, toutes tendances confondues, n’arrivent à subsister que grâce aux subventions et subsides. Heureusement que ces journaux ont un coût de fabrication peu élevé car ils possèdent en général leur propre moyen d’impression.
Pour la presse d’opposition, la situation s’avère particulièrement difficile. Déjà fragile sur le plan économique, elle fait constamment l’objet de mesures administratives visant à l’affaiblir sur le plan politique. En fait, la censure des articles est quotidiennement effectuée par le pouvoir sans l’existence de la moindre loi censoriale. La saisie des journaux incriminés sont monnaie courante. Les procès pour délit de presse mettant en cause des directeurs de journaux et des journalistes opposants se multiplient. Certains d’entre eux sont emprisonnés et quelques entreprises de presse sont condamnées à fermer leurs portes.
O La situation que vous venez d’évoquer ne concerne que la presse d’opinion en général et les organes d’information de l’opposition en particulier. Quel est le sort de la presse dite généraliste ?
-Sur le plan économique, la presse généraliste est mieux lotie car elle bénéficie de la manne publicitaire. Celle-ci profite surtout à trois organes : la radio nationale, le grand quotidien Le Courrier de Madagascar et, dans une proportion moindre, le newsmagazine Réalités malgaches qui connaît, par ailleurs, un véritable succès commercial.
Sur le plan politique, la radio et la télévision nationales ainsi que Le Courrier de Madagascar ne subissent pas la moindre tracasserie administrative car ce sont des organes émanant ou proches du pouvoir. Par contre Réalités malgaches dérange.
O Le cas du newsmagazine novateur Réalités malgaches que vous avez fondé et dirigé, mérite qu’on s’y attarde beaucoup plus.
-Réalités malgaches dérange en s’investissant dans le journalisme d’investigation et en rapportant les faits d’une manière objective. Il s’attirera à son tour les foudres du pouvoir.
Au départ, le gouvernement se montre conciliant vis-à-vis de Réalités malgaches. Ainsi, en 1970, il permet la publication de l’interview exclusive du vice-président de la République André Resampa que j’ai réalisée la veille de l’arrestation de cette personnalité pour complot contre l’Etat. Il autorise aussi la publication du récit de la jacquerie dans le Sud malgache en 1971 et rapporté dans les colonnes de Réalités malgaches par moi-même, témoin unique de cet événement en tant que journaliste.
Mais au fur et à mesure que la situation politique se détériore, le pouvoir se montre tatillon. Ainsi, Réalités malgaches comporte des pages blanches barrées du mot « censuré » lorsqu’il parle du complot fomenté par Régis Rakotonirina et consorts. Mais cette façon d’agir ne sera plus permise. Par la suite, la totalité des exemplaires imprimés et prêts à être diffusés de Réalités malgaches est saisie et détruite par le Ministère de l’Intérieur lorsque le newsmagazine traite quelques sujets sensibles entre 1971 et 1972. Il s’agit des articles concernant la réélection du président Tsiranana, le mouvement de contestation estudiantine, etc. Après les saisies, Réalités malgaches est obligé d’imprimer et mettre en vente de nouveaux exemplaires ne comportant plus les articles incriminés.
A chaque saisie, Réalités malgaches – défendu bénévolement par des membres du barreau – attaque en justice l’Etat malgache. En huit procès, il en a gagné quatre. Les verdicts prononcés lui permettent alors d’obtenir des dommages et intérêts. Mais je n’ai jamais été indemnisé par l’Etat malgache. Las par tant de hargne et d’injustice, j’ai rejoins en 1973 la rédaction centrale basée à Paris de l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique.
O A travers différents cas que vous avez rapportés, on peut dire que la liberté de la presse a été sérieusement malmenée durant la Première République à Madagascar.
-La liberté de presse a été malmenée à Madagascar par le gouvernement Tsiranana. Et ce, au mépris de la législation en vigueur qui était calquée sur les lois françaises sur la presse. En fait, les décisions prises par le gouvernement malgache à l’encontre des journaux étaient souvent prises aux dépens de la justice, de la vérité ou de la raison. On peut donc dire sans ambages que la presse malgache a subi le règne de l’arbitraire durant la Première République.
Mais, il faut dire que les différentes formes de violation de la liberté de la presse se sont atténuées durant le régime militaire allant de 1972 à 1975 alors que la situation politique qui prévaut alors à Madagascar est, comme on le sait, particulièrement instable. Il faut même reconnaître que le général Gabriel Ramanantsoa est attaché par-dessus tout à la liberté de la presse. Pour sa part, le président éphémère Richard Ratsimandrava laisse à la postérité une remarque tenue à l’endroit d’un journaliste qui l’a accablé de tous les noms : « Mille fois vous m’insulteriez dans votre journal, mille fois je ne vous poursuivrais pas devant un tribunal. Mille fois, vous pourriez dormir sur vos deux oreilles car je ne vous ferez aucun mal ». -

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