mardi 28 janvier 2014

Il était une fois... histoires de Madagascar, traditions



Explicitement évoqués par les traditions, trois chemins s’ouvrent au candidat au fanjakana royal : la guerre ou son substitut, le fanorona, l’héritage comme conséquence du mariage et la négociation d’une convention.

La légitimité d’Andrianjaka
Quelque peu analogue à la marelle médiévale française, le fanorona est un jeu de stratégie qui, comme les échecs (samantsy) en pays zafiRambo, faisait partie de l’éducation des jeunes princes.
Dans nos traditions étaient censés être en train d’y jouer tant l’héritier désigné Andriamananitany quand il fut assassiné par les partisans d’Andriamanelo, son aîné au pouvoir, que le fils aîné de Ralambo, Andriantompokoindrindra, éliminé de la succession pour être demeuré sourd aux appels au secours de son père. Ce dernier voulant encore une fois tester ses fils pour savoir si le cadet, Andrianjaka, était vraiment digne de la souveraineté à laquelle il le destinait pour réparer l’assassinat d’Andriamananitany et respecter le testament de Rangita.

Pour comprendre ces conséquences extrêmes d’une activité prétendument de loisir, il faut savoir que le fanorona, alors qualifié de soratr’Andriamanitra ou “prescription / décision divine”, était à l’époque plus qu’un jeu : un moyen de divination antérieur à celui de l’ombiasy sous influence arabo-musulmane, et pour lequel le prince était lui-même son propre ombiasy. Réussira-t-il à élaborer les stratégies qui vont lui permettre de sortir vainqueur de l’expédition ou de la guerre qu’il va entreprendre ? De fait, commencer à jouer au fanorona, c’était déjà commencer à combattre. Une victoire au jeu était présage de succès assuré, une défaite, présage d’échec.


La tradition d’Ambohimalaza donne à entendre que, par son don de voyance, le grand ancêtre, roi-prêtre et devin depuis dix ans, sur le territoire légué par sa mère et qu’il était prêt à défendre contre tout empiètement, avait deviné que son père n’avait nul besoin de secours. Mais l’annonce d’une recherche de victoire imparable par 3 contre 5 inaboutie signifiait qu’il ne se lancerait dans aucune entreprise d’expansion sans totale certitude de réussite.

Quant à Andrianjaka, se détournant du fanorona dessiné sur son rocher d’Andringitra, pour formuler le souhait de prendre Ialamanga sans coup férir, il annonce, pour sa part, sa décision de chercher une expansion territoriale vers le sud et par d’autres moyens que la guerre : ce sera en se présentant à Ialamanga en héritier de Rafandrana.

Il faut aussi relever, sans plus s’y attarder, que Ralambo et Andriantompokoindrindra se rejoignent parfaitement pour éviter le partage, à la mort de Ralambo, de l’Imerina ambaniandro : en deux royaumes, celui de l’Est à Andriantompokoindrindra et celui de l’Ouest à Andrianjaka.
Ce sera en s’engageant sur le deuxième chemin possible d’accès à la souveraineté, qui est celui des mariages calculés en fonction des droits qu’ils peuvent procurer aux époux et aux enfants – permettant à l’homme d’exercer le fanjakana sur les terres de sa femme et à ses enfants de les recevoir en héritage de leur mère. Ralambo le fera par une forme de testament et Andriantompokoindrindra par une convention passée avec son cadet, et en instaurant un mariage préférentiel de fanjakana tsy afindra entre leurs descendants.

Cela dit, il faut se rappeler, à propos du rôle des femmes comme source du pouvoir, que celui-ci était fondé sur l’ancien principe juridique (rohin-drazana) limitant les droits d’un prince en matière de succession.

Aucun prince, fût-il roi, n’avait le droit d’écarter de la succession au fanjakana les enfants de sa sœur qui en étaient les héritiers prioritaires (ny amin'ny zanak’anabavy dia tsy very ariana ny amin'ny fanjakana).

C’est ainsi que s’expliquent, d’une part, décidé par Andriamanelo, le passage par le mariage du fils de son frère Andriamananitany avec leur sœur Rafotsindrindramamnjaka, et d’autre part, mais partiellement, l’apparition, au début du 20e siècle, d’une surprenante tradition dont la publication fit alors scandale et qui faisait de la mère d’Andrianjaka la descendante par les femmes d’une cadette de Rangita, qui aurait été mariée à un prince sakalava d’origine anglaise (par ailleurs évoqué par nombre de récits, tant malgaches qu’européens, relatifs aux dynasties du Sud et du Sud-Ouest de l’île).

La conquête d’Ialamanga
Andrianjaka n’avait certes pas renoncé en toute circonstance à être un conquérant. Une tradition lui attribue, comme à Ralambo, cinquante fusils et trois barils de poudre. Et déjà, avant de se tourner vers Ialamanga, il avait pris le contrôle de tous les sommets entre Ambohimanga et l’Andringitra, lesquels étaient des lieux de pouvoir qui resteront, par la suite, le siège de pouvoirs seigneuriaux.
Ialamanga – ou, selon d’autres traditions, Anjalamanga ou encore Analamanga – était un site aménagé selon les normes des anciens sites princiers.
Au milieu d’une forêt, en son point le plus élevé à Ambohimitsingina (“Au sommet qui effleure le ciel”) l’actuel Ambohimitsimbina où ont été érigées les antennes du réseau hertzien –, existait une palée (rova) à l’intérieur de laquelle avaient résidé les rois vazimba.
En contrebas au nord-ouest, un lac sacré dans le vallon perché d’Antsahatsiroa servait à la sépulture, au moins partielle, des rois trépassés. En dehors du rova existaient aussi de petits villages comme celui d’Ambohimanoro.
L’ensemble était entouré soit par des abrupts rocheux, soit par des fossés. A cette époque, comme à Ambohimanga – celle-ci a conservé sa forêt jusqu’à présent –, les rois et princes n’enterraient pas à l’intérieur de la palée, mais dans la forêt. Ambatobe, Ambavahadimitafo et Ambatobevanja furent des lieux de sépulture. Et le peuple enterrait à l’extérieur des fossés : Ambohitsirohitra, par exemple, était le lieu de sépulture d’Ambohimanoro.

Ialamanga n’était pas un site princier comme les autres. C’était le grand nombril (foibe) de toute la région, un lieu de pouvoir particulier pour les relations avec l’au-delà céleste, là où arrivait, par le cordon ombilical reliant le ciel et la terre, le hasina vital. Y consacrer un accord ou une convention lui donnait une autorité supérieure. C’est ainsi que le vallon perché d’Andohalo accueillait les pierres levées (orim-bato) qui consacraient ces accords. Comme le donnait à penser le nom du lapa d’Ambohimitsingina : Tsiazompaniry ou “Celui qui échappait aux convoitises”, cette ville sanctuaire était censée imprenable.
La conquête d’Analamanga ne fut sans doute pas un haut fait d’armes d’Andrianjaka, mais plutôt le résultat de négociations qu’appuyait un fort mouvement populaire, à un moment où le pouvoir précédent, après le dernier grand règne d’Andriampirokana qui avait complété la défense de la ville et fait creuser le fossé d’Ankadinandriana, à l’est du rova, semble bien avoir été désorganisé.

Antaninarivo, capitale de l’Imerina
La tradition royale va jusqu’à raconter qu’Andrianjaka et ses gens ayant fait halte à Andrainarivo, à l’est de la ville, et y ayant fait la cuisine, le nombre de feux et la quantité de fumée firent si peur aux Vazimba qu’ils s’enfuirent ! Mais, à suivre le récit qui nous est donné de la prise de possession, les fuyards ne comptèrent que du menu fretin.
En effet, Andrianjaka rencontra sur place les fils d’Andriampirokana, Andriantsimandafika et Andriambodilova, avec lesquels il passa convention et qui, avec des privilèges plus importants que ceux des andriana, furent établis, le premier à Ambohitriniarivo, au nord d’Ivato, le second à Anosisoa, où ils devinrent les ancêtres des Antehiroka.
Il y rencontra aussi les Zanamahazomby, descendants d’Andriamahazomby, qui avait autrefois reconnu les droits, sur Ialamanga, de Rafandrana, un ancêtre d’Andrianjaka.
A la population, les serviteurs-courtisans qui accompagnent le prétendant le présentent comme un prince qui ne fait perdre à personne ni sa famille ni ses biens.
Répondant aussi au souci du sort de la terre, ils indiquent qu’il respectera les biens hérités des ancêtres. Andrianjaka n’ayant rencontré aucune opposition, la ville sanctuaire passa aux mains des descendants de Rafohy et Rangita. Andrianjaka va réaménager le site et le nommer Antaninarivo (“A la terre du peuple”). Jusqu’à ce jour, la prononciation Antàn’nariv’ se conforme à celle du nom donné par Andrianjaka, même si Andriamasinavalona et Radama Ier décidèrent de la renommer, le premier Antananarivolahy (“A la ville remise à mille hommes”) et le second Antananarivo (“A la ville des mille / du peuple”).

Décider d’une nouvelle nomination du lieu était normalement au nombre des prérogatives royales, et la tradition en donne maints exemples. Mais les nouvelles dénominations sont toujours significatives.
Le sens de “ville du peuple” – si l’on admet que, dans les noms, manga est une référence au monde arabe – indique un programme politique de réaction contre l’influence arabo-musulmane qui, à cette époque, est sensible en divers domaines. Maître des lieux, le premier acte d’Andrianjaka fut de couper un pan de forêt pour y installer son rova. Non seulement il ne reprit pas pour lui l’ancien rova vazimba, mais il le retrancha de l’agglomération en faisant creuser, entre les deux palées, le fossé d’Ankaditapaka.

La différence était désormais faite entre Ialamanga et Antananarivo. Et il n’eut pas d’autres grands aménagements à faire, car l’espace était déjà bien délimité et protégé. Rénové, l’antique établissement devenait le foiben’Imerina (“grand nombril de l’Imerina”), le lieu où, par excellence, se faisait la communication avec le ciel.

Exception faite des Vazimba qui fuirent et formèrent ensuite une partie des Antehiroka, il confirma dans leurs droits les habitants qui y résidaient déjà, mais en y mêlant, comme colons (voanjo), certains des partisans qui l’avaient suivi.
Il fit de la ville la représentation du royaume. Il ne toucha pas aux anciens tombeaux, et notamment à celui d’Andriampirokana, dont les descendants conservèrent ce qui devint le quartier d’Andafiavaratra.
Il lotit partiellement la forêt en délimitant de nouveaux quartiers auxquels étaient adjoints, à l’extérieur des fossés, des terrains de culture (tanimboly) : dans l’enceinte de la ville, Ambavahadimitafo (nord-est) fut accordé aux Andriantompokoindrindra ; Ambohitantely (nord d’Andafiavaratra) aux Andrianamboninolona ; Ambohitsoa (où fut construit le lycée Gallieni au 20e siècle) aux ZanadRalambo ; Andrefandrova (ouest du rova) à ses proches parents. Ambohimitsimbina, quartier de l’ancien rova, devint la résidence des tandapa, ses serviteurs-courtisans.
Les lignages andriana puissants étaient donc représentés à proximité du palais royal, mais ne pouvaient y ensevelir leurs morts et devaient le faire dans le vohitra de leurs ancêtres. Seuls Andrianjaka et ceux de ses descendants qui allaient régner après lui obtenaient le droit de sépulture à Antaninarivo, à l’intérieur du rova.

La ville rayonnait sur la région, débordant les limites des terres ayant fait allégeance. Andrianjaka, prévoyant l’avenir, encourageait les initiatives visant à étendre ce rayonnement. C’est ainsi qu’il autorisa Andrianentoarivo, d’ascendance zafimamy, à se créer un fanjakana dans ce qui devint le Vonizongo (nord-ouest de l’Imerina).
Mais alors que lui-même avait – chiffre célestiel – douze conseillers, comme Andriantompokoindrindra au moment de son règne, il n’en accorda que dix – chiffre terrestre – à Andrianentoarivo, comme en avait Andriantompokoindrindra depuis qu’il avait cédé le pouvoir souverain à son frère.
Par de telles créations, Andrianjaka préparait l’avenir à une plus grande Imerina.

----> Les Antehiroka
Descendants des derniers rois vazimba d’Ialamanga, les Antehiroka ne sont pas des primitifs chassés par la défaite de leurs lieux de résidence. Les privilèges qui leur furent reconnus par Andrianjaka – et que confirma encore Andrianampoinimerina – suffisent à le prouver.
Ils bénéficiaient, en effet, de tous les privilèges qu’avaient les andriana. Ils n’avaient pas à verser au roi ou à ses représentants la culotte de bœuf (vodihena) pour chaque zébu sacrifié. Leurs territoires ne pouvaient être donnés en apanage et seigneurie à un prince (tsy atao menakely). Leurs biens ne pouvaient tomber en déshérence (tsy hanina mati-momba) et être une aubaine pour le souverain.
Ils n’avaient ni à assurer la garde de l’enceinte royale (tsy miambina valamena) et le portage des princes (tsy milanja Andriana), ni à payer l’impôt sur le riz récolté (tsy mandoa isam-pangady), ni à verser chaque année le grain d’argent par personne vivante (tsy mandoa variraiventy isan’aina) – impôt tout à fait minime mais marque de sujétion –, ni à accueillir des chèvres dans leurs villages (tsy iakarana osy). Accordé en échange du renoncement au pouvoir souverain, ce dernier privilège signifiait que, n’en élevant plus pour eux-mêmes, ils n’avaient pas non plus à recevoir les chèvres du souverain sur leurs terres.

En outre, si, comme les andriana, ils avaient le privilège qui interdisait au souverain de verser leur sang et de les convoquer au service armé, ils en avaient un autre, particulièrement important, celui d’être tsimatimanota, qui leur assurait la vie sauve en cas de crime. C’est ainsi que le roi Andrianampoinimerina voulant punir Ravovonana, un Antehiroka qui l’avait blessé au genou d’un coup de fusil, dut attendre l’autorisation des Antehiroka, et l’exécution du coupable se fit sans effusion de sang.
Enfin, en matière de rituel, ils étaient autonomes (mahavita tena), notamment pour la circoncision de leurs fils – alors même que, sous peine de nullité, leur participation était indispensable lors de la circoncision des enfants royaux, où les bénédictions qu’ils prononçaient en tant que “parents à plaisanterie” (ziva) de la famille royale, et qui devaient rester secrètes, prenaient la forme d’imprécations. Huit générations après Andrianjaka, la parenté étant éteinte, ce statut fut remis en cause, mais déjà en avait pris la relève la dynastie des Andafiavaratra.

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