mercredi 29 janvier 2014

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Trop proche de la France, il s’est vu contester le titre de « Père de l’indépendance ». Il présida pourtant à « l’âge d’or » du pays.
Philibert Tsiranana sera certainement toujours moins populaire que Didier Ratsiraka, l’amiral qui osa dire « non » aux vazaha (« Blancs »). Certes, il jouit du titre de « Père de l’indépendance », mais combien d’historiens et d’intellectuels le lui contestent ! Ceux-là même qui notent avec nostalgie que, sous sa direction, dans les années 1960, une famille de la petite bourgeoisie pouvait se payer une voiture et quelques semaines de vacances en France alors que, aujourd’hui, cela leur est impossible, se refusent à reconnaître en Tsiranana­ un président de qualité. Pour eux, il n’était qu’un homme de paille de la France, un statut rédhibitoire dans un pays où survit un nationalisme à fleur de peau.
« On a voulu faire passer Tsiranana pour un valet de la France. C’est en fait plus complexe. C’était un nationaliste modéré, un francophile qui ne souhaitait pas la rupture avec l’ancienne métropole », soutient Denis-Alexandre Lahiniriko, auteur d’un travail historique sur le premier président de la Ire République malgache.
Il faut dire que, sans la main de l’administration coloniale, jamais peut-être ce fils d’éleveurs de bœufs, né en 1910 et mort en 1978, n’aurait pris les rênes du pays. Après avoir fréquenté les nationalistes et les communistes dans les années 1940, Tsiranana, devenu instituteur, adopte une posture moins radicale. Il dit oui à l’indépendance, mais pas tout de suite. « Cette indépendance, nous l’avons retardée pour que la période de 1946 à 1958 permette aux tribus qui n’en avaient pas de former leurs cadres, intellectuels et politiques », s’expliquait-il en 1968. Sans ça, les côtiers « seraient restés de petits chefs de village, des subordonnés, des subjugués, pour ne pas dire des esclaves », tandis que les Merinas, les habitants des hauts plateaux, aux lointaines origines asiatiques, auraient cumulé tous les pouvoirs. « C’était à coup sûr la guerre civile. »
Tsiranana était avant tout un ardent défenseur de l’unité nationale et un grand anticommuniste. C’était aussi un francophile – « de culture française­, nous sommes et nous voulons rester français », disait-il. La France sachant reconnaître les siens, les administrateurs coloniaux, qui le perçoivent comme un « nationaliste raisonnable », lui mettent le pied à l’étrier : en 1958, il prend la tête du Conseil de gouvernement.
Le 26 juin 1960, c’est le jour de gloire. Madagascar redevient un pays libre et plutôt bien loti. Favorable à « l’existence d’une opposition contradictoire et systématique », ­Tsiranana laisse l’opposition le critiquer. En « socialiste libéral », il donne les clés au secteur privé. La situation économique s’améliore, mais il faut dire que le président bénéficie d’un soutien financier sans faille de Paris. Mais de quelle indépendance ­parle-t-on ? L’enseignement n’évolue guère – d’où la « malgachisation » souhaitée en 1972. Les conseillers français restent en place, jusque dans l’entourage le plus proche du président. L’armée aussi, puisque la France maintient ses bases militaires. Quant aux investisseurs français, ils monopolisent les richesses.
Incapable de voir l’évolution idéologique de l’intelligentsia malgache, bercée d’idéaux marxistes, Tsiranana n’écoute plus grand monde après ses réélections en 1965 et 1972. Affaibli par une maladie cardiovasculaire qui l’oblige à s’absenter du pays, il devient autoritaire et voit des complots partout. Mais il ne sent pas arriver la contestation. La jacquerie de 1971 dans le Sud et la révolte de 1972 à Tana lui seront fatales. Malgré plusieurs tentatives de retour, Tsiranana finira ses jours en opposant fantôme, ignoré des Malgaches.

Jeuneafrique.com
En 1943, Philibert Tsiranana adhère au Syndicat professionnel des instituteurs puis en 1944, à la CGT. La vie politique, alors renaissante à Madagascar, intéresse beaucoup le jeune enseignant qui, poussé par son mentor Paul Ralaivoavy, adhère en janvier 1946 aux Groupes d’études communistes (GEC) de Madagascar. Il y assure les fonctions de trésorier. Les GEC lui permettent de rencontrer les futurs cadres du PADESM (Parti des déshérités de Madagascar), parti dont il est un des membres fondateurs en juin 1946.
Le PADESM est une organisation politique regroupant les Mainty et les Tanindrana (ou « côtiers »), contre les Merina. Le différend tribal, déjà ancien, avait été ravivé à la suite des élections législatives qui venaient de se tenir. Les côtiers avaient tenté un rapprochement avec le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), dirigé par les Merina, afin qu’un des deux sièges de député attribués aux autochtones de Madagascar leur soit attribué. Les Merina devaient remporter la circonscription de l'est avec Joseph Ravoahangy tandis que la circonscription de l'ouest revenait aux côtiers avec Paul Ralaivoavy. L’accord ne fut pas respecté et finalement le Merina Joseph Raseta10 remporta le second siège. Les côtiers tentèrent encore une fois un accord pour les législatives de juin 1946, mais en vain. Le PADESM, dans son programme, s'oppose donc avant tout aux revendications nationalistes du MDRM, avec pour but principal de contrer tout éventuel retour de « pouvoir Merina ». À ce sujet en 1968, Tsiranana justifie sa position sur l’indépendance par ces propos :
« si on l’avait demandée dès 1946, c’était à coup sûr la guerre civile car les côtiers n’étaient pas d’accord. Étant donné leur niveau intellectuel à l’époque, ils seraient restés de petits chefs de villages, des subordonnés, des subjugués, pour ne pas dire des esclaves, tant le fossé entre gens des côtes et gens des hauts-plateaux était énorme.  En juillet 1946, du fait de son proche départ pour l’École normale de Montpellier, il refuse le poste de secrétaire général du parti. Toutefois, activement, il contribue au journal du PADESM, Voromahery où il signe ses articles sous le pseudonyme de Tsimihety, par référence à son ethnie d'origine.
Ce voyage dans la France d’après-guerre en pleine reconstruction, sujette aux aléas politiques de la IVe République, lui permet d’échapper à l’insurrection malgache de 1947 et à toute compromission dans ces événements sanglants3. Ému par cette tragédie, Tsiranana qui pourtant n'est pas partisan de l'indépendance, participe le 21 février 1949 à une manifestation anti-coloniale à Montpellier.
Durant son séjour, il prend conscience du problème du recrutement des élites malgaches. Il constate que sur les 198 étudiants malgaches en France, seuls 17 sont côtiers. Or dans son esprit, il ne peut y avoir d'union franche entre tous les Malgaches s'il demeure entre la côte et les Hauts Plateaux, un écart culturel. Afin de remédier à ce problème, il fonde successivement deux amicales : l'Association des étudiants malgaches côtiers (AEMC) en août 1949, puis l'Association culturelle des intellectuels malgaches côtiers (ACIMCO) en septembre 1951 à Madagascar. Ces créations, mal vécues par les Merina, lui sont reprochées par ces derniers.
De retour sur la Grande île en 1950, il est nommé professeur de l’enseignement technique à l’École industrielle de Tananarive située sur les Hauts Plateaux. Il y enseigne le français et les mathématiques. Mal à l’aise dans cet établissement, il est affecté à l’école « Le Myre de Vilers » où ses compétences sont plus appréciées.***
La création du PSD et la loi-cadre Defferre
Tsiranana s’impose progressivement comme le leader des côtiers. Il fonde le 28 décembre 1956 à Majunga, avec des éléments de l’aile gauche du PADESM, notamment André Resampa, le Parti social-démocrate (PSD). L’affiliation est portée à la SFIO. Le PSD dépasse rapidement les perspectives limitées du PADESM, dont il est plus ou moins l’héritier1. Il représente tout à la fois les notables ruraux côtiers, les fonctionnaires et les partisans de l'indépendance méfiants vis-à-vis du communisme. D'emblée, son parti bénéficie des préférences de l'administration coloniale, dans la perspective des transferts progressifs du pouvoir exécutif prévus par la loi-cadre Defferre.

 Le général de Gaulle.
L'entrée en vigueur de la loi-cadre est prévue après que se soient tenues les élections territoriales de 1957. Le 31 mars, Tsiranana est réélu conseiller provincial sur la liste « Union et Progrès social » avec 79 991 voix sur 82 121 inscrits. Tête de liste, il est nommé président de l’Assemblée provinciale de Majunga et est reconduit dans ses fonctions de conseiller à l’Assemblée représentative de Madagascar le 10 avril 1957. Le 27 mai, cette Assemblée élit un Conseil du gouvernement placé sous l'autorité du Haut-commissaire André Soucadaux, mais dont la vice-présidence est offerte à Philibert Tsiranana.
Installé au pouvoir, il conforte peu à peu son autorité. Le 12 juin 1957 est créée une seconde section du PSD dans la province de Tuléar qui rallie 16 conseillers de l'assemblée provinciale, prenant ainsi la majorité à Tuléar. À l’Assemblée représentative, le PSD est représenté par 9 membres. Au sein du Conseil du gouvernement, Tsiranana parvient à nommer son bras droit, André Resampa, au portefeuille de l’Éducation. Bien qu'occupant le poste de vice-président du conseil, ses prérogatives restent assez limités, ce qu'il déplore. En avril 1958, lors du 3e congrès du PSD, il reproche à la loi-cadre, le caractère bicéphale qu’elle impose au Conseil ; pour lui, la présidence du gouvernement malgache ne doit pas être occupée par le haut-commissaire. L’accession du général de Gaulle au pouvoir en juin 1958 joue en sa faveur. Par une ordonnance du gouvernement national, l’ordre hiérarchique dans les territoires d’outre-mer est modifié au profit des élus locaux. Tsiranana devient ainsi le 22 août 1958, le président officiel du Conseil du gouvernement de Madagascar.

Le 29 avril 1959, l’Assemblée constituante adopte la constitution élaborée par le gouvernement. Elle s’inspire largement des institutions de la Ve République mais possède ses caractéristiques propres. Le chef de l’État est le chef du gouvernement, il détient tout le pouvoir exécutif ; le vice-président du gouvernement n’a qu’un rôle très effacé. Le parlement est, quant à lui, bicaméral, situation exceptionnelle à l’époque en Afrique francophone. De plus, les provinces, dotées de conseils provinciaux, jouissent d’une certaine autonomie. Au final, bien que d’inspiration parlementaire, le régime relève plutôt d’un présidentialisme modéré.
Le 1er mai, le parlement élit au sein d’un Collège comprenant également les conseillers provinciaux et des délégués des communes, le président de la République malgache. Quatre candidats sont alors en liste: Philibert Tsiranana, Basile Razafindrakoto, Prosper Rajoelson et Maurice Curmer. Finalement, sur les 114 suffrages exprimés par les congressistes, Tsiranana est unanimement élu premier président de la République malgache par 113 votes favorables, une seule abstention étant relevée.


Défilé en l'honneur de l'indépendance le 16 juin 1960.
Le 24 juillet 1959, le général de Gaulle nomme quatre responsables politiques africains, parmi lesquels Philibert Tsiranana, au poste de « ministres-conseillers » du gouvernement français pour les affaires intéressant la Communauté. Le président malgache, par ses nouvelles fonctions, en profite pour évoquer l’accès à la souveraineté nationale de Madagascar ; le Général accepte. En février 1960, une délégation malgache dirigée par André Resampa, se rend à Paris pour négocier le transfert des compétences. Tsiranana insiste pour que toutes les organisations malgaches soient représentées au sein de cette délégation, à l’exception de l’AKFM (qui le déplore). Le 2 avril 1960, les Accords franco-malgaches sont signés à l’Hôtel Matignon entre le Premier ministre français Michel Debré et le président Tsiranana46. Le 14 juin, le parlement malgache adopte à l’unanimité les Accords. Le 26 juin, Madagascar devient indépendante.

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