mercredi 29 janvier 2014

L'Elite a-t-elle une stratégie Africaine pour l'Afrique?


Définitions et extensions du mot « stratégie »

Issue du grec stratos qui signifie « armée », et ageîn qui veut dire « conduire », la stratégie est un art qui vise à coordonner l’action de l’ensemble des forces de la nation (militaires, politiques, financières… etc.) en vue de mener une guerre au sens militaire ou de gérer une crise majeure. Par extension, la stratégie désigne l’élaboration d’une politique définie en fonction de ses forces et de ses faiblesses, compte tenu des menaces et des opportunités dans des domaines autres que celui de la défense au sens militaire du terme. On peut alors parler de stratégie politique ou économique, de stratégie de communication ou de développement. Ses déclinaisons s’articulent autour de trois niveaux : la phase stratégique proprement dite au sommet, la phase tactique au niveau intermédiaire et la phase opérationnelle sur le terrain.

L’absence de référence à la stratégie africaine

Avec près de 60% de l’élite dirigeante (dans la tranche des 45-65 ans) formée en Europe et aux États-Unis, les décideurs africains semblent avoir oublié qu’il existe une pensée stratégique africaine millénaire. Cette ignorance, voire ce déni de culture stratégique propre au contexte africain expliquent au moins pour partie la tragédie afro-kafkaïenne du héros de Cheikh Hamidou Kane dans l’aventure ambigüe de la mondialisation. Nos investigations auprès de 30 écoles supérieures africaines (universités, écoles de commerce et centres de formation militaire confondues) parmi les plus populaires chez les 20-25 ans montraient, fin novembre 2009, une absence absolument complète de référence à la stratégie africaine dans les programmes éducatifs. Après Carl von Clausewitz, c’est Sun Tzu qui fait une timide entrée dans les programmes depuis bientôt 10 ans !

En 1620, le Roi Kuba - Sa Majesté Shamba Balongombo - se fit sculpter pour la postérité, l’Awélé (jeu de stratégie africaine) pour en attester la sacralité. En 2010, ce sont les jeux d’échecs et de go qui meublent les salons des décideurs africains. Heureusement, dans certaines contrées comme en RDC où il est appelé Kisolo ya mungu (« Jeu de Dieu »), l’Awélé reste pratiqué lors de soirées festives comme le nouvel an cingalais ou lors de veillées mortuaires pour défier les ombres de la mort.

 L’Awélé, symbole de la culture stratégique africaine

Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’Awélé, c’est le caractère cyclique de la circulation des graines. Il y a 12 cases à jouer comme il y a 12 mois dans l’année. L’échange de richesses, de potentiel, est généré par le passage régulier des graines, d’un camp à l’autre. Ce principe fondamental diffère de l’approche occidentale dominante qui oppose presque toujours deux camps avec pour objectif de se détruire comme on le voit au jeu d’échecs… Ainsi Luttwak considère-t-il que la guerre mène à la paix quand elle permet la victoire totale d'un camp sur l'autre, ou « par suite d'épuisement complet des combattants ou parce que les objectifs respectifs dont l'incompatibilité a donné lieu à la guerre se sont transformés sous l'effet de la guerre elle-même. »

En revanche, l’approche africaine s’accommode, à bien des égards, de la conception asiatique de Sun Tzu selon laquelle, « notre invincibilité dépend de nous, la vulnérabilité de l’ennemi, de lui. » Le joueur d’Awélé sème pour récolter, nourrissant l’adversaire tout en le bouffant. « L’accumulation d’un potentiel de graines, initialement en partage, a pour effet de restreindre la part de l’autre, dont la marge de manœuvre s’amenuise jusqu’à ce qu’il soit acculé à subir les décisions du même. » La finesse tactique réside dans les freins et accélérations des gains et des prises.

La résistance aux programmes informatiques occidentaux

Disqualifier la pensée stratégique africaine au motif qu’elle est orale, c’est  la sempiternelle excuse des théoriciens qui ne comprennent que le langage de l’écrit, le moyen le plus sûr d’échapper à l’éclairage absolument original des peuples premiers subsahariens dans le champ de la stratégie.En Afrique noire, les grands stratèges d’Awélé restent les Anciens, ces êtres forgés dans le moule des traditions ancestrales et relativement préservés de l’influence extérieure alors qu’ils sont ouverts au monde. Les langues étrangères leurs sont certes inconnues. Pourtant leur incroyable capacité à donner et à prendre, ainsi que leur redoutable esprit mathématique continuent de résister aux programmes informatiques occidentaux

D’après Jean Retchitzki qui a mené une étude sur les processus intellectuels et cognitifis des jours d’Awélé en Côte d’Ivoire, « aucun livre développant les stratégies et les tactiques n’a été diffusé en Afrique. L’absence de pédagogie organisée rend d’autant plus stupéfiante la capacité de certains joueurs à atteindre un niveau d’expertise qui témoigne de capacités cognitives et intellectuelles étonnantes… »

Tout bien considéré, il y a dans l’Awélé comme dans certains contes, proverbes et rites initiatiques africains, de redoutables principes de stratégie et d’éthique qui, s’ils étaient structurés et appliqués, permettraient à l’Afrique de décoller à la manière des Dragons asiatiques ; d’autant que dans sa conception traditionnelle, le village africain préfigurait le village planétaire des temps modernes.

Le Fanorona (prenoncez "Fanourna") est un jeu traditionnel de Madagascar, apparu vers la fin du XIVème siècle, et devenu aujourd'hui le jeu national malgache. Ce jeu a tenu un rôle important dans les rites malgaches et semble avoir été investi de vertus divinatoires. On raconte qu'en 1895, lorsque les Français envahirent la capitale, la reine de Madagascar, Ranavalona III, accordant une plus grande confiance à ce jeu qu'au chef de son armée, décida qu'une partie de Fanorona déterminerait sa stratégie militaire. Mal lui en prit, car l'île tomba aux mains des Français et le monarchie fut abolie!

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